La Somme de nos Folies, de Shih-Li Kow

 

Kita en rayonne et lurex. Côte d'Ivoire, Aboisso, peuple Akan.
Collection Anne Grosfilley.

 

Je suis, ordinairement, attirée par les objets. Une tranche souple comme une joue, une petite aquarelle plutôt michto, un bleu profond et crac, je me vois sortir une liasse de yébis et acquérir l'affriolant in folio

C'est ainsi que je me suis retrouvée, la semaine dernière, avec, dans la poche de ma redingote, La Somme de nos Folies. Un joli poisson, peint sur la couverture, m'avait conduite à l'associer à mes trajectoires futures. 

La Somme de nos folies tisse ensemble deux voix. La première est celle d'une jeune-fille de treize ans, Mary-Anne, dont la vie bascule au moment où elle est enfin extraite de l'orphelinat où elle a grandi par une famille adoptante et emmenée par eux dans la Grande Maison, où elle vivra désormais, à Lubok Sayong. La deuxième appartient à un homme à la retraite, Auyong, qui a décidé de Kitter Kuala Lumpur pour se la Kouler douce dans le même Lubok Sayong, petit bled où il gère désormais une conserverie de litchis. 

Le roman tout entier oppose l'espace de la grande ville, KL, (Kuala Lumpur), et celui de la petite ville de Lubok Sayong, ou chacune connaît chacun. Il s'agit ici, pour chacun·e, de vivre et de sentir que l'on est bien vivant·e, car la mort est toute proche : les fantômes sont aussi familiers que les animaux de compagnie et les créatures sous-marines peuvent à l'instant jaillir du flot et vous croquer comme une chips.
C'est là, je dirais, le plaisir que nous donne Shih-Li Kow : celui de contempler une fresque minutieuse et ornée avec, à un bout, la grande ville et, à l'autre, un lieu provincial - un trou, même, du point de vue de certain·e·s. Et l'autrice de dessiner avec amour les trajectoires que chacun·e parcourt entre l'un et l'autre lieu, dans le but de s'assurer qu'iel est bien vivant·e ou, pour certain·e·s, bien mort·e. Notre héroïne, Mary-Anne, au visage mi-intact mi-brûlé, mi-beau mi-laid, mi-vivant mi-mort, éclairera sur son passage les lanternes des autres personnages en quête de sens.

Où faut-il vivre ? Où aller ?  Est-on plus vivant·e dans l'anonymat de la grande ville, là où l'on est libre d'oublier ce qu'on n'a pas voulu vivre ? Lorsqu'iels quittent leur Europe pour aller quelque part en Asie, les touristes viennent-ils dans l'espoir du prévu ou de l'imprévu ? Le spectacle, ou l'accident ? Espèrent-iels que le voyage les rassemble, ou qu'il les sépare pour jamais ? Suivant lentement du doigt chacun des fils tissés par Shih-Li Kow, nous vivons très sensuellement ces questionnements. 

L'inondation qui inaugure le roman, loin d'être une catastrophe, libère l'étrange poisson à tête de chien, compagnon argenté de la vieille Mami Beevi, et nous imprègne de sens. 

Livre adoré ! Je ne le prêterai qu'à une personne à queue de poisson et à tête de chien.

K.A.

 


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