Le Serpent Blanc, de Yan Geling, traduit par Brigitte Duzan

 

 
 
"Des jolies filles, j'en ai vu des millions
 
mais la plus belle, c'est toi et rien que toi
 
avec ton visage en galette de kakis, tes oreilles au vent,
 
tes jambes maigres comme des pattes de poulet 
 
et tes yeux ronds comme des petits pois"
 
 
Ainsi ironisent et chantent les admirateurs de Sun Likun, ancienne danseuse vedette d'un ballet chinois, soupçonnée de révisionnisme par le groupe de la révolution culturelle chinoise et, pour cette raison, séquestrée dans un bâtiment carcéral au bord d'un chantier de construction. 
 
Depuis l'incarcération de Sun Likun, ces ouvriers ont sous les yeux, au jour le jour, les bras blancs de cette beauté à la souplesse jadis serpentine et qui, désormais, démêle sa chevelure avec un peigne à deux dents, engraisse et quémande leurs mégots. 
 
Jusqu'au jour où un noble jeune homme lui rend visite qui semble déterminé à établir avec elle un autre type de contact que celui, grivois et distant, de ses courtisans quotidiens. 

Yan Geling transpose au temps de la révolution culturelle un mythe chinois populaire : celui du serpent blanc. Son écriture limpide nous donne à entendre diverses voix, celles des officiels chargés de la surveillance de Sun Likun mais aussi celle de la direction de la troupe de danse l'ayant employée, celle de la danseuse et de sa plus fervente admiratrice, celle de l'inspecteur chargée de sa surveillance, celles des soignantes de l'hôpital psychiatrique où la mènera sa folie. 
L'écriture de Yan Geling se dénude au fil du texte pour nous mener à résoudre l'énigme qui préside au destin de Sun Likun et a confondu ses geôliers, ses soignantes et ses surveillantes les plus ferventes. 

Ce même soir, les spasmes qui agitaient tout son corps se calmèrent peu à peu. 
 Alors elle réalisa soudain qu'elle était nue et eut l'envie immédiate de courir ramasser ses vêtements éparpillés sur le sol. En même temps, elle se dit : puisqu'il n'y a pas de sexe opposé ici, pourquoi vouloir se cacher ? Mais aussitôt, l'idée contraire lui parut tout aussi évidente : dans ces conditions, pourquoi être nue ? 
 
Une novella sur le trouble dans le genre qui se plaît à ressasser les mêmes instants, de gloire, d'incarcération et de trouble amoureux, pour les soumettre aux différents regards auxquelsils ont été soumis et les libérer, enfin, de la contrainte de l'ordre moral. Un texte plus composite et souple encore qu'un tapis d'écailles.
 
 
K.A.
 
 
 
 

 
 

 

 

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