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Le Serpent Blanc, de Yan Geling, traduit par Brigitte Duzan

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      "Des jolies filles, j'en ai vu des millions   mais la plus belle, c'est toi et rien que toi   avec ton visage en galette de kakis, tes oreilles au vent,   tes jambes maigres comme des pattes de poulet    et tes yeux ronds comme des petits pois"     Ainsi ironisent et chantent les admirateurs de Sun Likun, ancienne danseuse vedette d'un ballet chinois, soupçonnée de révisionnisme par le groupe de la révolution culturelle chinoise et, pour cette raison, séquestrée dans un bâtiment carcéral au bord d'un chantier de construction.    Depuis l'incarcération de Sun Likun, ces ouvriers ont sous les yeux, au jour le jour, les bras blancs de cette beauté à la souplesse jadis serpentine et qui, désormais, démêle sa chevelure avec un peigne à deux dents, engraisse et quémande leurs mégots.    Jusqu'au jour où un noble jeune homme lui rend visite qui semble déterminé à établir avec elle un autre type de contact que celui, grivois et distant, de ses courtisan

Underdog Samuraï, de Romain Ternaux

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Romain Ternaux donne naissance à un loser raciste, xénophobe et sexiste - mais jamais attachant -, entre Jean-Louis Costes et OSS117,  dont les éructations nous mèneront au bout du delirium tremens.  Le jeune homme qui nous raconte sa quête de justice, quand il n'insulte pas l'humanité entière - composée, selon lui, de pétasses, de ritals, de peigne-culs et de faces-de-fugu -, se demande, à raison, s'il va survivre à la quantité d'alcool ingérée - et les compagnes et compagnons de route qu'il s'aliène n'ont pas plus de sympathie pour lui, que lui pour elleux.  Romain Ternaux écrit avec la bite une épopée de la fascination française pour la culture japonaise, fascination dont il choisit de faire tremper les racines dans le jeu vidéo, dans le porno - où "japonaise" est une catégorie de recherche - et, surtout, dans une histoire coloniale très, très mal digérée - notre héros, trentenaire en 2020, étant pourtant susceptible, à tout instant, d'enton

Le Chomor, de Martin Mongin

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    Aussi petit.e qu'on soit, il nous est toujours possible de rêver à la révolution et, même, de réaliser certains changements - et, même, d'abattre la bête immense.  Le capitalisme un grand machin, la · e lecteur · ice, un "objet minuscule capable d'infliger un maximum de dégâts" : le ton est donné et l'on est, tout de suite, mise au rang de joueuse, de possible actrice du bouleversement de l'ordre établi.  Martin Mongin nous raconte et nous re-raconte une histoire, depuis les différents points de vue nécessaires à sa bonne compréhension - car il a construit un conte dans le conte, une fable politique suffisamment complexe pour qu'il nous faille l'assimiler par plusieurs bouts avant de pouvoir la comprendre vraiment, la mâcher, la digérer.  Le style de Mongin, lui, ne nous implique pas tant, physiquement : il est peu musical et l'on reste, à tout instant, consciente de n'être que la lectrice d'un livre, celle à qui l'on raconte u

La semaine perpétuelle, de Laura Vazquez

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Pour la première fois, une poète que j'aime s'aventure dans le roman. De Laura Vazquez, je connais et j'admire l'incessant étonnement, l'obsession du corps, le mouvement fouisseur de l'écriture qui sonde, jusqu'au fond, notre étrangeté vis à vis de nous-même.  Ici, elle a l'idée géniale d'exhumer les racines de son écriture, de les extraire d'internet où elles s'étaient formées, pour nous les donner à voir. Elle choisit pour cela de créer trois personnages, adolescent ·e · s qui, comme elle-même, créent du contenu en ligne (vidéos, poèmes), et composent sur la base de leur rapport intime, divinatoire, au web.  Google devient alors marc de café, substance noirâtre que la combinaison particulière des mots tapés dans la barre de recherche dispose, de façon plus ou moins évocatrice, au fond de la tasse.  Et le réseau social, lui, se change en lieu où chacun ·e partage ses trouvailles, fait suivre les images de la façon dont le marc de café s'

Solak, de Caroline Hinault

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  Comme moi, Caroline Hinault aime l'argot, la gouaille, les gros mots. Façon Céline, elle donne voix à un vieux militaire envoyé au milieu de rien (au nord du cercle polaire arctique) pour ne rien accomplir (garder un drapeau).  L'autrice se lance le défi de nous faire traverser, avec Piotr et ses trois compagnons, la grande nuit, l'embâcle, jusqu'au prochain soleil de minuit. Elle donne à son narrateur un rapport à la fois brutal et émerveillé, scato et lyrique, à la banquise qui l'entoure.  J'avoue, le côté tontons flingueurs au pôle Nord de cette voix qui nous emmène a pu m'agacer, moi qui avais choisi, exprès, de lire une jeune autrice et un texte dédié " aux femmes-promesses ". Et puis, la dureté de la cohabitation et de l'hiver arctique m'a saisie et a comme figé ce flot de testostérone - en congères ? - jusqu'à me faire oublier mon recul initial et me faire comprendre in fine , façon True Grit , que le prochain acte de violence

Dans ton coeur, compagnie Akoreakro / Pierre Guillois

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  Photographie (c) Richard Haugton «  À partir du quotidien d’un couple surgissent des situations banales qui dérapent et donnent naissance à de folles acrobaties. La première rencontre, le coup de foudre puis, une fois passée l’exaltation de la passion amoureuse, la routine s’installe et des disputes éclatent. Ainsi va la vie…  » Tel sera le propos du spectacle. C'est écrit sur le site, de la compagnie,  ici.  Et ça promet : acrobates musiciens, chapiteau pointu, électroménager à la pointe et un beau tapis, très doux, sur le sol. Pour rendre hommage à la frénésie poétique de la compagnie Akoreacro et de son metteur en scène Pierre Guillois, j'userai dans ce billet de doubles, voire de triples parenthèses, enchâssées les unes dans les autres.  Aheum.  Au début du spectacle, une jeune femme, seule au centre du plateau, est assaillie, dans l’obscurité, par un groupe de huit hommes en noir. Elle court, éperdue, en tous sens, pour leur échapper. Peut-être mon atten

Toutes ces foutaises, de Ezzedine Fishere

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Velours Kasaï. Raphia, teinture végétale. République démocratique du Congo, confédération Kuba,peuple Shoowa, collection Fondation Jean-Félicien Gacha. L’ É gypte, depuis la France, est rarement regardée en tant que société contemporaine. Un premier roman, publié en 2002 par les éditions Merit, avait pu éclairer une époque actuelle de l’ É gypte : L’immeuble Yacoubian , d'Allaa El Aswany. Le roman peignait la fin du régime de Moubarak. Dans le nouveau roman d’Ezzedine Fishere, on découvre de même, décrits avec un humour assez noir, les É gyptiennes et les É gyptiens d’aujourd’hui. Amal est une femme américaine d’origine égyptienne, qui sort juste de prison en É gypte. Elle y avait été arrêtée pour appartenance à une ONG étrangère visant à déstabiliser le régime. Elle rencontre Omar, un chauffeur de taxi avec qui elle va passer 48 heures avant de retourner aux USA. Le roman se déroule durant ces deux journées. Amal ne se sent pas en crise, elle est bien dans sa peau. Elle