Dans ton coeur, compagnie Akoreakro / Pierre Guillois

 

Photographie (c) Richard Haugton



« À partir du quotidien d’un couple surgissent des situations banales qui dérapent et donnent naissance à de folles acrobaties. La première rencontre, le coup de foudre puis, une fois passée l’exaltation de la passion amoureuse, la routine s’installe et des disputes éclatent.
Ainsi va la vie…
 »

Tel sera le propos du spectacle. C'est écrit sur le site, de la compagnie, ici. 

Et ça promet : acrobates musiciens, chapiteau pointu, électroménager à la pointe et un beau tapis, très doux, sur le sol.

Pour rendre hommage à la frénésie poétique de la compagnie Akoreacro et de son metteur en scène Pierre Guillois, j'userai dans ce billet de doubles, voire de triples parenthèses, enchâssées les unes dans les autres. 

Aheum. 

Au début du spectacle, une jeune femme, seule au centre du plateau, est assaillie, dans l’obscurité, par un groupe de huit hommes en noir. Elle court, éperdue, en tous sens, pour leur échapper. Peut-être mon attention a-t-elle flanché, mais il m'a semblé que dans la scène suivante, sans transition, elle est en train de tomber amoureuse du moins violent de la bande, avec qui elle se met rapidement en ménage. 

Cette femme en a dans le ciboulot, me dis-je : déjà, elle choisit le moins violent et, qui plus est, elle en choisit un (plutôt que zéro), pour que les autres la laissent tranquille. (Car c'est comme ça, la vie. On me l'a bien appris : Pour que les hommes arrêtent de te harceler, mets-toi en couple avec l'un d'eux(D'ailleurs, la dernière fois qu'un homme m'a suivie dans la rue, j'ai fini par me retourner vivement (avec, certes, moins de souplesse que l'héroïne de notre spectacle préféré), pour lui dire que je voulais qu'il me laisse tranquille. Ce à quoi il a répondu, mélancolique, "Ah, alors vous avez déjà quelqu'un ...". Le brave homme n’envisageait pas que je puisse avoir envie de rentrer chez moi sans lui pour une autre raison que celle-ci.))

Jusque-là, je suis complètement dans l’ambiance : Pierre Guillois a sûrement voulu questionner la possibilité de demeurer féministe dans un couple hétérosexuel, me dis-je.

Les acrobates sont merveilleux.ses, de petites culottes colorées volettent dans tous les coins, notre héroïne travaille à la chaîne dans une usine de ballons nacrés avec son chéri, c’est pas facile tous les jours mais l’amour transfigure tout.  


Photographie (c) Richard Haugton

Ses anciens agresseurs (la dangereuse Bande des 8, désormais Bande des 7 puisque l’un d’entre eux l’a épousée), traîne encore dans les parages. Parfois, ils sont là pour jouer la musique de sa vie, parfois ils la portent, la jettent, la réceptionnent dans tout ce qu’elle a d’acrobatique à faire. Et puis, régulièrement au cours du spectacle, elle se retrouve encore, seule contre tous, terrifiée, dans cette ruelle noire où ils essayent de l’attraper pour lui faire on ne sait quoi (sans doute des chatouilles sous les bras).

En ma Ford intérieure, je me dis : ma petite Titanic, c’est ce qui s’appelle la mémoire traumatique. C’est normal : notre héroïne est enfin sortie d’affaire, étant mariée avec le moins nerveux de ses anciens agresseurs, mais parfois, quand elle sort acheter le pain, à l’heure bleue, les souvenirs reviennent et elle se sent à nouveau traquée, alors que tout va bien.


Photographie (c) Richard Haugton


Jusque-là, j’ai donc encore l’impression de comprendre le propos :  Pierre Guillois a sûrement voulu faire référence aux travaux de Muriel Salmona sur le psychotrauma.

Notre héroïne, par la suite, est enceinte puis mère, puis enceinte encore, et tourne en rond avec son gros bidon dans sa petite baraque noire et blanche où chaque geste, aussi anodin qu’il soit, devient de plus en plus difficile à accomplir, pendant que son époux gagne durement sa vie, à l’extérieur, dans le vrai monde. Comment arroser les plantes quand on ne voit plus ses pieds ? Heureusement, ses 7 porteurs (et anciens agresseurs) sont là pour la transporter et lui permettre de mener à bien ses petites tâches de la journée.

Jusque-là, j’ai donc toujours l’impression de comprendre le propos :  Pierre Guillois a sûrement voulu faire référence à La Vie Matérielle, de Marguerite Duras : Un homme et une femme, c’est quand même différent. La maternité n’est pas la paternité. Dans la maternité la femme laisse son corps à son enfant, à ses enfants, ils sont sur elle comme sur une colline, comme dans un jardin, ils la mangent, ils dorment dessus, ils tapent dessus et elle se laisse dévorer et elle dort parfois tandis qu’ils sont sur son corps. Rien de pareil ne se produira dans la paternité.

Et puis, on entre dans le moment où, "passée l’exaltation de la passion amoureuse, la routine s’installe et des disputes éclatent.", comme il est écrit dans l'programme. La femme découvre, dans la poche de l'homme, un string à paillettes et une poignée de dahlias en papier de soie. Il aurait donc une autre compagne, secrète celle-ci ! Alors elle le lui reproche amèrement, (en lui lançant un fer à repasser à la tête) et lui, sans s'excuser d'avoir menti, riposte en balançant sur elle la machine à coudre. Nos deux amoureux tentent, durant plusieurs minutes, de se fracasser mutuellement le crâne avec les machines si pratiques qu'ils avaient achetées jadis, du temps de "l'exaltation de la passion", pour essorer le linge et repriser la salade.  

Suite à quoi, le couple désuni aura encore quelques moments difficiles :  la dame ira en boîte de nuit où 7 hommes en noir (vous-savez-qui)  essayerons sans succès de lui casser la margoulette, et l’homme, lui, apprendra la brasse, au cours de la plus belle scène du spectacle, auprès d’un maître-nageur viril en diable, pour oublier –  « Les femmes, toutes les mêmes. ».

Cette saine parenthèse leur ayant permis de se ressaisir, les deux amoureux fusionneront à nouveau en fin de spectacle : « Ainsi va la vie ! Il y a des hauts et des bas ! »


Photographie (c) Richard Haugton


C’est le pompon. Pierre Guillois est une sœur de lutte ou je ne m’y connais pas. En finale, il cite Ernestine Ronai : il y a une différence entre le conflit et la violence. Si on est deux à s’envoyer mutuellement des appareils électriques à la tête, ce n’est pas grave, c’est un conflit ! Ce n’est de la violence que si seul l’un des deux partenaires envoie les appareils électriques à la tête de l’autre. Un conflit trouvera sa résolution et on pourra à nouveau s’aimer, après. Ainsi va la vie.

Alors, euh, peut-être suis-je farcie de préjugés classistes sur l’art du cirque, mais quand je vais voir un spectacle d’acrobatie, j’ai tendance à penser que je vais m’amuser. Qu’en quelques dizaines de pirouettes virtuoses et colorées on puisse questionner la possibilité d’être féministe au sein d’un couple hétéro,  causer psychotrauma, distinguer le conflit de la violence et enfin citer Marguerite Duras, j’apprécie mais je me dis que c’est chargé, comme ambiance ; qu’il y a quand même beaucoup de castagne, « Dans ton cœur ». Et que, peut-être, Pierre-Guillois-ma-soeur ne cite ni Duras, ni Ronai, ni Salmona, mais  fait simplement virevolter ses aériens protagonistes sur la base de stéréotypes de genre que, ce faisant, il ne subvertit jamais.

Peut-on écrire : magnifique et dommage à la fois ?


K.A.


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