La semaine perpétuelle, de Laura Vazquez



Pour la première fois, une poète que j'aime s'aventure dans le roman. De Laura Vazquez, je connais et j'admire l'incessant étonnement, l'obsession du corps, le mouvement fouisseur de l'écriture qui sonde, jusqu'au fond, notre étrangeté vis à vis de nous-même. 

Ici, elle a l'idée géniale d'exhumer les racines de son écriture, de les extraire d'internet où elles s'étaient formées, pour nous les donner à voir. Elle choisit pour cela de créer trois personnages, adolescent·e·s qui, comme elle-même, créent du contenu en ligne (vidéos, poèmes), et composent sur la base de leur rapport intime, divinatoire, au web. 

Google devient alors marc de café, substance noirâtre que la combinaison particulière des mots tapés dans la barre de recherche dispose, de façon plus ou moins évocatrice, au fond de la tasse. 

Et le réseau social, lui, se change en lieu où chacun·e partage ses trouvailles, fait suivre les images de la façon dont le marc de café s'est étalé au fond de sa tasse, et demande aux autres ce que cela peut bien vouloir dire de plus. 

On l'aura saisi : dans le monde où se déroule cette histoire, chacune, chacun est poète - du moins les tous jeunes, tant la poésie naît ici d'un rapport profond à Internet. Salim et Sara sont poètes, qui cherchent à établir le lien avec leur mère, de même que l'est Jonathan, leur ami, rencontré suite à ses commentaires sous leurs vidéos. Tous trois établissent, vis à vis d'eux-même, de leur mémé à l'agonie, de leur père suicidaire et de l'inquiétant colocataire une distance libératrice, gagnée de haute lutte par les mots. Salim a arrêté l'école depuis longtemps, sans doute parce qu'il y aurait appris des choses qu'il ne sait pas. 

Le fil de leur pensée à tous trois, déroulé abondamment, entre chaque infime événement du  roman, nous emmène aussi loin que le peut l'écriture et, à le suivre, comme la grand-mère nous devenons sensibles, jusqu'à la douleur, à la moindre caresse, au moindre souffle d'air sur nous. 

Ce roman, selon moi, met en mouvement trois jeunes personnages à l'intériorité et à la langue identiques - langue de Laura Vazquez - et l'on peut peiner à entrer dans un texte où tous les personnages portent, sur le réel, un regard à la fois si semblable et si extrêmement singulier. 

Sauf, peut-être, à supposer que Sara, Salim et Jonathan ne forment qu'un·e ; qu'iels sont, à proprement parler, en réseau ! Ou que l'autrice appelle de ses vœux le plus grand partage poétique possible, entre voyageur·euse·s du web - jusqu'à l'osmose. 


T.C.

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